
Une année charnière pour la filière bio
La campagne 2024-2025 des céréales biologiques s’inscrit dans un contexte tendu, marqué par une baisse historique de la production, des surfaces cultivées et des volumes collectés. Les effets conjugués de conditions climatiques difficiles, de rendements en baisse, de déconversions d’exploitations bio et de tensions économiques ont mis à rude épreuve la résilience de la filière.
Selon FranceAgriMer, les surfaces emblavées en céréales bio ont chuté de 12,6 % pour atteindre 480 271 hectares, tandis que le nombre de producteurs engagés a diminué de 7,9 %, passant à 18 843. Cette réduction s'observe sur l'ensemble du territoire, mais certaines régions comme l'Occitanie ou le Sud-Ouest sont particulièrement touchées, avec des baisses allant jusqu'à 21 %.
Collecte en recul : un point de rupture ?
La collecte de céréales biologiques, tous types confondus (blé tendre, maïs, orge, triticale), est en recul de 41 % sur l'ensemble de la campagne, estimée à environ 455 000 tonnes. Au 1er mai 2025, 529 000 tonnes avaient été collectées, soit déjà une baisse de 38 % par rapport à la même période l'année précédente.
Le blé tendre bio est particulièrement concerné : sa collecte est en recul de 52 %, tombant à environ 205 000 tonnes, son plus bas niveau depuis six ans. Plusieurs facteurs expliquent cette dégringolade : conditions climatiques difficiles (excès d’eau, gel tardif), surfaces en baisse, moindres intentions de semis, mais surtout une dynamique de déconversion alimentée par des prix considérés comme non rémunérateurs.
Des stocks sous tension et un recours ponctuel aux importations
Les stocks de fin de campagne sont également en nette diminution, à 146 500 tonnes, soit une baisse de 32 %. Cette contraction concerne l'ensemble des cultures : blé tendre (-42 %), triticale (-48 %), maïs (-32 %). Dans ce contexte, la France, généralement autosuffisante, a dû recourir à des importations ponctuelles (environ 25 000 tonnes) pour couvrir les besoins, notamment en blé panifiable.
Parallèlement, les exportations de céréales bio françaises ont chuté de 77 %, signe d’une priorité donnée à l’approvisionnement du marché intérieur. Cette décision, coordonnée avec les opérateurs de la filière, vise à garantir une stabilité des débouchés locaux dans un contexte tendu.
Des usages industriels qui s’adaptent
Malgré la baisse des volumes, la transformation meunière reste relativement stable, avec une légère hausse de 2 % sur les premiers mois de campagne. Cela s'explique notamment par le dynamisme retrouvé de la boulangerie artisanale, qui maintient une demande locale significative.
Dans le secteur de l’alimentation animale, les industriels ont adapté leurs formules, diminuant la part du blé tendre pour recourir davantage au maïs et à l’orge bio. Ce rééquilibrage permet de rester aligné avec la disponibilité effective sur le territoire français, tout en réduisant la dépendance à des importations coûteuses.
Un effondrement de la production de semences bio
La collecte de semences biologiques a connu un recul très marqué de 43 % (12 446 tonnes collectées sur 6 mois). Les principales cultures sont concernées : blé tendre (-47 %), maïs (-58 %), orge (-41 %), triticale (-33 %). Ce phénomène révèle une double fragilité : qualité dégradée de la récolte et difficultés économiques incitant les agriculteurs à utiliser davantage leurs propres semences de ferme.
Cette tendance inquiète les professionnels : le recours massif aux semences non certifiées pourrait compromettre la qualité et la traçabilité des futures récoltes, accentuant les incertitudes pour la campagne suivante.
Dynamique régionale : focus sur le Sud-Ouest
Certaines régions comme la Nouvelle-Aquitaine ou l’Occitanie, pourtant historiquement dynamiques en agriculture biologique, ont enregistré les baisses les plus importantes de surfaces. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, les grandes cultures bio représentaient 7,2 % des surfaces en 2023, mais la collecte de semences y chute de 14 %, confirmant une perte de vitesse sur un territoire pourtant emblématique.
Quelles perspectives pour la filière ?
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette campagne difficile. La filière a fait preuve d’une certaine capacité d’adaptation, en ajustant les usages industriels, en coordonnant les débouchés et en recourant à des importations très ciblées. Toutefois, ces mécanismes d'ajustement ne suffiront pas si la dynamique de déconversions se poursuit.
Trois chantiers prioritaires se dessinent pour l’avenir :
- Renforcer la rémunération des producteurs bio via des contrats stables et équitables.
- Soutenir la relance de la production de semences certifiées bio.
- Investir dans des pratiques agronomiques adaptées au changement climatique pour accroitre la résilience des cultures.
Conclusion
La campagne 2024-2025 aura été une année de rupture pour les céréales bio, marquée par une conjonction inédite de facteurs défavorables. Si la filière a su éviter l’implosion, c’est au prix d’un redéploiement tactique de ses moyens. Il est aujourd’hui indispensable de consolider les bases économiques et techniques de cette agriculture, pour que le bio ne soit plus une variable d’ajustement, mais un pilier durable de la stratégie agricole nationale.