
Chaque printemps, un événement discret mais puissant a lieu dans les campagnes françaises. Baptisé « De Ferme en Ferme », il permet à des centaines d’exploitations agricoles d’ouvrir leurs portes au grand public. En 2025, l’opération organisée par le réseau des CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) bat un record de participation : près de 700 fermes dans 26 départements participent à l’aventure.
Mais au-delà de la visite champêtre et de la dégustation de bons produits, que se joue-t-il vraiment dans ces fermes ouvertes ? Pourquoi ces rendez-vous sont-ils si essentiels pour notre compréhension de l’agriculture ? Et que nous apprennent-ils sur notre propre rapport à l’alimentation et à la terre ?
Un lien à renouer entre villes et campagnes
Aujourd’hui, moins de 2 % de la population active française travaille dans l’agriculture. Pour la majorité des consommateurs, la ferme est un monde lointain, flou, parfois idéalisé, souvent méconnu. On parle beaucoup des agriculteurs dans les médias, mais rarement avec eux, et encore plus rarement sur leurs lieux de vie et de travail.
C’est là toute la force d’un événement comme De Ferme en Ferme : il redonne chair et voix à ceux qui nourrissent la population. En franchissant le portail d’une ferme, on découvre une réalité concrète : des femmes et des hommes passionnés, des gestes précis, des choix techniques, des contraintes, des arbitrages quotidiens… bref, une agriculture vivante, loin des clichés.
« On entend beaucoup parler de nous, mais rarement justement. Quand les gens viennent ici, ils comprennent ce qu’on fait, pourquoi on le fait, et souvent, ça change tout », confie une éleveuse de brebis du Massif Central, habituée de l’événement.
Une pédagogie incarnée, loin des slogans
Chaque ferme participante propose un parcours de visite pédagogique d’environ une heure. L’objectif : montrer, expliquer, faire toucher du doigt la réalité du métier. Ce ne sont pas des stands marketing, mais des témoignages vécus. Les visiteurs découvrent l'origine des aliments qu’ils consomment, les saisons de production, les conditions de culture ou d’élevage, les enjeux de la biodiversité, les défis climatiques, les réalités économiques…
Cette transparence crée de la confiance. En voyant une fromagère tourner son lait à la main, un maraîcher parler de ses rotations de culture, un viticulteur évoquer la sécheresse, les produits prennent une autre dimension. Ce ne sont plus des biens anonymes, mais le fruit d’un territoire et d’un travail précis.
Thème 2025 : l’eau, une ressource sous tension
Cette édition 2025 met l’accent sur un sujet brûlant : la gestion de l’eau. Une ressource qui devient de plus en plus précieuse à mesure que les sécheresses s’intensifient. De nombreuses fermes participantes montreront leurs stratégies : récupération des eaux de pluie, cultures économes, agroforesterie, paillage, pâturage tournant…
Ces pratiques témoignent d’une agriculture en mutation, soucieuse d’adaptation et de résilience, bien loin des caricatures de productivisme. Et pour les visiteurs, c’est l’occasion de comprendre à quel point les enjeux agricoles et écologiques sont liés – et pourquoi nos choix de consommation peuvent faire la différence.
Repenser notre rôle de consommateur
C’est un autre aspect fondamental de De Ferme en Ferme : il ne s’agit pas seulement de regarder l’agriculture de l’extérieur, mais aussi de se questionner en tant que citoyen-consommateur.
En rencontrant les producteurs, on réalise l’impact de nos choix d’achat : acheter local, c’est maintenir des fermes vivantes ; choisir du bio ou du raisonné, c’est encourager des pratiques vertueuses ; privilégier les circuits courts, c’est soutenir l’économie de son territoire.
Pour beaucoup de visiteurs, cette immersion se prolonge après la visite. Ils reviennent au marché local, s’abonnent à une AMAP, modifient leur alimentation, parlent de leur expérience à leurs enfants… Ce sont ces petits changements qui, multipliés, transforment la relation entre agriculture et société.
Des fermes qui prennent la parole
Ouvrir sa ferme, ce n’est pas anodin. Cela demande du temps, de l’énergie, un certain courage aussi. Mais pour les exploitants qui participent, c’est aussi l’occasion de se faire entendre sans filtre, sans porte-parole ni polémique. Ils parlent de leur métier avec fierté, sans cacher les difficultés. Ils montrent ce qu’ils réussissent, ce qu’ils expérimentent, ce qu’ils espèrent.
Et ce contact humain, direct, est souvent plus efficace que n’importe quelle campagne de communication.
En conclusion : cultiver la confiance, ensemble
De Ferme en Ferme est bien plus qu’un événement de portes ouvertes. C’est un acte politique au sens noble du terme : celui de renouer le lien entre producteurs et consommateurs, de faire dialoguer les territoires, de retisser une compréhension mutuelle.
Dans une époque où les tensions autour de l’agriculture sont vives, ces rencontres incarnent une autre voie : celle du dialogue, de l’écoute et de la construction collective d’un système alimentaire plus juste, plus sobre et plus durable.
Alors, le dernier week-end d’avril, n’hésitez pas : poussez la porte d’une ferme. Vous y verrez peut-être un agneau, un tracteur, un fromage, mais surtout… vous y verrez ce que nourrir veut dire.