
Alors que la moisson 2025 bat son plein dans plusieurs régions françaises, les prévisions d’exportations de blé tendre hors Union européenne suscitent une certaine inquiétude. Selon FranceAgriMer, les volumes qui quitteront le territoire français à destination des pays tiers ne devraient pas dépasser 7,5 millions de tonnes cette année. Une donnée en net retrait par rapport aux campagnes précédentes, et qui appelle à une vigilance accrue de la part des céréaliers. Car si les silos se remplissent, les débouchés à l’international, eux, se contractent.
Des volumes disponibles, mais des marchés fermés
Avec une production nationale estimée à 33,4 millions de tonnes en 2025, la France retrouve un niveau plus conforme à sa moyenne décennale après la mauvaise récolte de 2024, pénalisée par des aléas climatiques multiples. Malgré ce regain de volume, les exportations vers les pays tiers, c’est-à-dire en dehors de l’Union européenne, ne devraient représenter qu’une faible part des débouchés.
En comparaison, certaines campagnes récentes dépassaient aisément les 10 à 12 millions de tonnes exportées hors UE. Le seuil de 7,5 millions de tonnes place la campagne actuelle parmi les plus faibles de la décennie en matière d’export extra-européen. Cette tendance n’est pas anodine : elle interroge sur la capacité de la filière à valoriser son blé dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.
Une concurrence internationale exacerbée
Plusieurs facteurs expliquent cette contraction des débouchés. Le premier est la pression exercée par les grands exportateurs mondiaux, à commencer par la Russie. Malgré la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales, les exportations russes n'ont jamais été aussi dynamiques. Proposant des prix très compétitifs, la Russie domine désormais de nombreux marchés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, historiquement approvisionnés par la France.
L’Ukraine, malgré un contexte géopolitique toujours instable, a également retrouvé des capacités d’exportation grâce à l’ouverture de nouveaux corridors sécurisés. Par ailleurs, d’autres acteurs comme l’Argentine ou l’Australie reviennent sur le devant de la scène après des années marquées par les sécheresses ou des restrictions logistiques.
Ces pays proposent des blés à des prix attractifs, avec une souplesse logistique souvent supérieure à celle des opérateurs français.
Dans ce contexte tendu, les clients traditionnels de la France – tels que l’Algérie, le Maroc ou l’Égypte – diversifient leurs approvisionnements. Ils s’orientent vers les offres les plus compétitives, délaissant temporairement le blé français, réputé plus cher ou d’une qualité variable cette année.
Une qualité de récolte jugée hétérogène
Autre élément de fragilité cette année : la qualité des grains récoltés. Si les volumes sont là, les premiers résultats font état d’une grande hétérogénéité, selon les régions et les itinéraires culturaux. Dans certaines zones, le taux de protéines est jugé insuffisant pour les critères de meunerie à l’export. Dans d’autres, le poids spécifique est en deçà des standards requis sur les marchés internationaux.
Cette variabilité qualitative limite la capacité de la France à proposer des lots premium, ceux-là mêmes qui attirent les acheteurs les plus exigeants. Résultat : moins de contrats fermes signés à la moisson, des ventes plus difficiles à concrétiser et une pression accrue sur les prix.
Des difficultés logistiques persistantes
À cela s’ajoutent des freins structurels liés à la logistique portuaire. Plusieurs opérateurs pointent du doigt un manque de réactivité et de flexibilité dans les grands ports exportateurs français (Rouen, La Pallice, Dunkerque…), ainsi que des coûts de chargement toujours élevés.
Les perturbations géopolitiques autour du canal de Suez et en mer Rouge compliquent également les flux à destination de l’Asie ou de l’Afrique de l’Est. Tous ces éléments pèsent sur la capacité de la France à se positionner rapidement sur certains marchés.
Une pression sur les prix dès l’automne
Pour les producteurs, cette situation se traduit très concrètement par une tension sur les prix. Les premières cotations de blé tendre à la moisson restent sous les 200 euros la tonne dans de nombreuses régions, avec un risque de chute vers les 180-190 €/t si les débouchés ne se fluidifient pas d’ici l’automne.
Dans certaines zones, les coopératives et négociants évoquent déjà une saturation des silos et des capacités de stockage limitées. Cette congestion pourrait forcer certains agriculteurs à vendre rapidement, à des niveaux de prix peu rémunérateurs.
Quelles stratégies pour les céréaliers français ?
Face à cette conjoncture, les agriculteurs sont appelés à adopter une posture plus proactive. Plusieurs leviers peuvent être envisagés :
- Vendre une partie de la récolte à la moisson pour sécuriser des prix plancher, surtout si la qualité est moyenne.
- Stocker une fraction des volumes lorsque la qualité et les infrastructures le permettent, dans l’espoir d’une remontée des cours à l’hiver ou au printemps.
- Suivre de près les marchés internationaux : les primes qualité, les annonces géopolitiques ou les perspectives climatiques en Russie ou en Amérique du Sud peuvent générer des opportunités ponctuelles.
- Réfléchir à une diversification culturale en 2026 (protéagineux, légumineuses, orge brassicole, etc.).
En conclusion
La campagne 2025-2026 s’annonce comme un test important pour la filière céréalière française. Avec une production en hausse mais des débouchés restreints hors UE, le risque de surstock et de baisse des prix est réel. Dans ce contexte, l’anticipation, la flexibilité commerciale et la réactivité face aux évolutions du marché seront des atouts majeurs pour les exploitants agricoles.