L’Europe de l’Est continue d’investir massivement dans des modèles de production agricole innovants. En Roumanie, un nouveau projet de serres hydroponiques chauffées à la géothermie, porté par Green Tech International, prévoit de développer jusqu’à 50 hectares de serres de haute technologie, dont une première tranche de 10 hectares est déjà en construction. Ce mouvement illustre l’intérêt croissant pour des systèmes de production sous serre, hors sol et bas carbone, et pose des questions directes de compétitivité pour les maraîchers français.
Une serre hydroponique de nouvelle génération
Le projet s’appuie sur une technologie hydroponique avancée, combinant culture hors sol, automatisation et énergie renouvelable. L’élément le plus notable est le chauffage 100 % géothermique, qui permet un apport calorifique constant, indépendant des variations climatiques, avec des coûts d’énergie nettement inférieurs à ceux du gaz ou de l’électricité conventionnelle.
Les objectifs affichés sont ambitieux :
- produire des tomates et légumes frais toute l’année ;
- réduire significativement l’empreinte carbone liée au chauffage des serres ;
- atteindre une forte compétitivité prix grâce à la baisse des coûts énergétiques ;
- devenir l’un des principaux pôles hydroponiques d’Europe centrale.
Ce modèle associe ainsi continuité de production, efficacité technique et durabilité énergétique, dans une logique de production intensive mais optimisée sur le plan environnemental.
Une montée en puissance progressive, mais stratégique
Le complexe roumain doit démarrer avec 10 hectares de serres équipées, avec une montée en puissance programmée vers 50 hectares sur cinq ans. Cette croissance repose sur plusieurs piliers : l’abondance locale de ressources géothermiques, la demande croissante en légumes européens moins dépendants des aléas climatiques, et la volonté des investisseurs de prendre rapidement position sur le marché régional des légumes sous serre.
Pour la Roumanie, ce projet est aussi un levier de souveraineté alimentaire : limiter les importations de tomates et de légumes d’hiver, tout en développant une filière moderne susceptible de fournir les marchés voisins. À terme, ces serres pourraient alimenter à la fois la consommation nationale et une partie du marché européen.
Quels enjeux pour les maraîchers français ?
Même situé à plus de 2 000 km, ce projet peut avoir des répercussions concrètes pour les producteurs français de tomates et de légumes sous serre. L’essor de grandes surfaces hydroponiques en Europe centrale est susceptible d’agir sur plusieurs leviers.
Compétitivité-prix des légumes sous serre
Grâce à une énergie géothermique peu coûteuse, les coûts de production sont fortement réduits. Les exploitations roumaines peuvent proposer des tomates et légumes à des prix très compétitifs, difficilement soutenables pour des serres françaises encore largement dépendantes du gaz ou de l’électricité classiques. Dans un marché européen ouvert, cette différence de coût pèse directement sur les marges possibles côté français.
Accès au marché européen
Situées proche de grands axes logistiques et bénéficiant d’un coût de main-d’œuvre plus faible, ces serres peuvent alimenter non seulement le marché local, mais aussi les rayons de nombreux pays voisins. À terme, ces productions pourraient concurrencer certaines origines actuellement présentes sur le marché français, notamment en contre-saison.
Pression sur la modernisation des serres françaises
Ce type de projet met en évidence l’enjeu de la modernisation énergétique des serres françaises : intégration d’énergies renouvelables (géothermie là où c’est possible, biomasse, solaire thermique), amélioration des écrans thermiques, optimisation de la gestion climatique et de l’arrosage, automatisation des opérations. Pour rester compétitif, le maraîchage sous serre en France devra accélérer ces transformations, souvent en s’appuyant sur des investissements collectifs ou des dispositifs d’aide.
Des pistes d’inspiration pour des projets territoriaux
Ce modèle illustre enfin la possibilité de combiner agriculture hors sol, énergie renouvelable et ancrage territorial. En France, des adaptations sont envisageables : valorisation de gisements de chaleur fatale, projets géothermiques locaux, chaufferies biomasse adossées à des serres, ou montages coopératifs associant producteurs, collectivités et énergéticiens. Pour les circuits courts, ces solutions peuvent offrir une production locale plus régulière, y compris en hiver.
Un signal fort dans le paysage maraîcher européen
Le projet hydroponique roumain s’inscrit dans une tendance de fond : montée des systèmes de production sous serre à environnement contrôlé (CEA), recherche de sobriété énergétique et adaptation au changement climatique. L’investissement de Green Tech International rappelle que l’innovation maraîchère ne se limite plus aux pays historiquement moteurs, et que de nouveaux acteurs européens entendent prendre leur place dans la fourniture de légumes frais.
Pour les maraîchers français, c’est à la fois un défi de compétitivité et une opportunité d’anticiper : en analysant ces modèles, en identifiant ce qui est transposable localement, et en travaillant sur des projets de serres plus sobres, plus autonomes et mieux intégrées aux territoires.