La nouvelle est tombée début décembre : l’entreprise Ÿnsect, longtemps présentée comme l’un des fleurons de la French Tech agroalimentaire, a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce d’Évry. Ce verdict marque la fin d’un projet industriel hors norme, fondé sur la production de protéines à partir de ténébrions, et interroge l’avenir d’une filière encore jeune : celle des insectes pour l’alimentation animale, humaine et la fertilisation des sols.
Un projet pionnier devenu trop ambitieux
Fondée en 2011, Ÿnsect avait réussi ce qu’aucune autre entreprise agro-tech française n’avait accompli : lever des centaines de millions d’euros pour construire des fermes verticales destinées à produire, à grande échelle, des farines de protéines d’insectes, des huiles et des fertilisants. La construction du site de Poulainville, dans la Somme, symbolisait toute l’ambition du projet : une ferme verticale parmi les plus grandes du monde, entièrement robotisée, pensée pour produire plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’ingrédients par an.
Mais la réalité économique a rapidement rattrapé l’innovation. Malgré ses performances techniques, Ÿnsect n’a jamais réussi à atteindre une échelle de production rentable. Les coûts d’investissement, de fonctionnement et de maintenance des équipements automatisés se sont avérés bien supérieurs aux capacités du marché actuel.
Une liquidation qui interroge tout un secteur
La disparition de Ÿnsect ne remet pas en cause l’intérêt des insectes comme source de protéines ou comme intrants agricoles, mais elle met en lumière les limites structurelles d’un modèle industriel trop ambitieux pour un marché encore émergent.
- un marché trop restreint, dominé par quelques niches (aquaculture, petfood premium, nutrition sportive) incapables d’absorber des volumes industriels massifs ;
- une concurrence internationale plus agile, basée sur des unités plus petites et moins coûteuses à exploiter ;
- un modèle industriel surdimensionné, trop capitalistique et vulnérable à chaque retard ou aléa technique ;
- des coûts de production encore trop élevés pour rivaliser avec les protéines classiques comme le soja, le colza ou les farines animales transformées.
En résumé, la liquidation de Ÿnsect révèle un décalage entre une vision industrielle très avancée et une réalité économique qui n’a pas évolué assez vite pour soutenir une telle montée en puissance.
Quel impact pour l’agriculture française ?
Pour les agriculteurs, l’effondrement de ce géant de l’agri-tech soulève plusieurs questions. Beaucoup espéraient voir émerger une alternative protéique locale pour réduire la dépendance au soja importé : cet horizon s’éloigne momentanément. Les engrais organiques issus de frass pourraient en revanche continuer à intéresser certaines filières, notamment en agriculture biologique ou en systèmes orientés sols vivants, à condition d’être produits dans des structures plus modestes et mieux dimensionnées.
L’épisode incite également à la prudence pour les projets d’élevage d’insectes à grande échelle. Les modèles les plus viables seront probablement ceux qui reposent sur des investissements raisonnables, des débouchés clairement identifiés et une montée en puissance progressive. La filière devrait se recentrer sur des marchés plus concrets : aquaculture, fertilisation organique, niches animales plutôt que production massive destinée à remplacer les protéines végétales.
Une page se tourne, mais la filière n’est pas morte
Même si la liquidation d’Ÿnsect représente un coup d’arrêt symbolique pour l’innovation agroalimentaire française, elle ne signe pas la fin des insectes dans les intrants agricoles. On se dirige plutôt vers une évolution du modèle : moins d’industrialisation lourde, plus de modularité, plus d’ancrage local, et un développement en cohérence avec la taille réelle du marché.
L’avenir de la filière passera sans doute par des unités moins coûteuses, plus rurales, plus proches des besoins des coopératives et des éleveurs, et capables de s’adapter rapidement. L’échec de Ÿnsect ne ferme pas les portes : il redéfinit simplement les contours de ce que pourrait être une filière insectes viable.