
Une tendance inédite : la baisse des surfaces en bio
L’agriculture biologique, longtemps en plein essor, traverse une crise sans précédent en France. En 2023, les surfaces cultivées en bio ont diminué de 2 %, une première après plusieurs années de croissance continue. Cette baisse, bien que modeste en apparence, est un signal alarmant pour toute la filière. Depuis les années 2000, l’agriculture biologique connaissait une expansion constante, soutenue par une demande croissante des consommateurs et des politiques incitatives. Or, la dynamique s’inverse et inquiète les acteurs du secteur.
Alors que l’année 2024 semble confirmer cette tendance, la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) tire la sonnette d’alarme et exhorte le ministère de l’Agriculture à publier rapidement les chiffres officiels pour mesurer l’ampleur du phénomène. La FNAB craint une accélération de cette décroissance, d’autant plus que de nombreux producteurs, découragés par le manque de soutien et des perspectives économiques incertaines, envisagent d’abandonner la certification bio.
Une crise aux causes multiples
Plusieurs facteurs expliquent cette désaffection pour le bio. D’abord, la conjoncture économique difficile a un impact direct sur les habitudes de consommation. L’inflation alimentaire, qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, conduit de nombreux consommateurs à privilégier les produits conventionnels, souvent moins coûteux. Or, le marché du bio repose en grande partie sur une clientèle prête à payer un supplément pour des produits perçus comme plus sains et plus respectueux de l’environnement. Cette érosion de la demande se traduit donc par une baisse des ventes et des prix moins attractifs pour les producteurs.
Des mesures de soutien réclamées par la FNAB
Face à cette situation critique, la FNAB propose une réaffectation des fonds initialement prévus pour les conversions vers le bio. Selon la fédération, près d’un milliard d’euros alloués sur la période 2023-2027 ne seront pas pleinement consommés, faute de nouvelles installations. Cet argent, plutôt que de rester inutilisé ou redirigé vers d’autres programmes, pourrait être consacré au soutien des agriculteurs déjà convertis, qui font face à des difficultés croissantes.
Pour stabiliser la filière, la FNAB plaide pour un redéploiement des fonds vers plusieurs leviers de soutien, parmi lesquels :
- Augmentation du crédit d’impôt bio : actuellement fixé à 4 500 euros par exploitation, il pourrait être porté à 6 000 euros jusqu’en 2028. Ce coup de pouce permettrait aux exploitants de compenser une partie des surcoûts liés à la production biologique et de maintenir leurs engagements malgré un marché plus difficile.
- Rehaussement de l’écorégime bio : aujourd’hui à 93 euros par hectare et par an, la FNAB demande qu’il soit porté à 145 euros. Cette hausse offrirait un soutien financier plus en adéquation avec les réalités économiques des exploitations bio.
- Mise en place d’un bonus bio dans les Plans de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations agricoles (PCAE) : ce dispositif, déjà existant, pourrait être renforcé pour encourager les investissements dans les infrastructures adaptées aux pratiques biologiques.
- Soutien spécifique à la filière du lait bio : le secteur laitier est l’un des plus touchés par la crise actuelle, avec des prix en baisse et une demande en recul. La FNAB préconise un programme opérationnel dédié pour aider à structurer cette filière et éviter des abandons massifs de la certification bio.
Vers un « état d’urgence bio » ?
La FNAB insiste sur la nécessité d’une réaction rapide et forte du gouvernement. Si la tendance à la baisse des surfaces bio se confirme, elle estime qu’il faudra « décréter l'état d'urgence bio » afin de mobiliser les ressources et les aides nécessaires au maintien de la filière. Ce concept d’état d’urgence viserait à enclencher un plan de sauvetage immédiat, en facilitant l’accès aux aides financières et en adaptant la réglementation pour éviter que des producteurs ne se retrouvent piégés par la crise.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’agriculture biologique est un levier clé de la transition agroécologique. Alors que les pouvoirs publics affichent leur volonté de développer des pratiques agricoles plus durables et de réduire l’usage des pesticides, la mise en péril du bio envoie un signal contradictoire. De nombreux experts soulignent que sans un soutien clair et renforcé, les efforts de conversion au bio risquent de s’essouffler, mettant en péril les objectifs environnementaux nationaux et européens.
Une mobilisation nécessaire pour éviter le déclin
Au-delà des demandes formulées par la FNAB, c’est l’ensemble de la filière qui appelle à une prise de conscience et à une mobilisation collective. Les acteurs du bio, des agriculteurs aux distributeurs en passant par les consommateurs et les pouvoirs publics, doivent travailler de concert pour garantir la viabilité de ce modèle agricole. Cela passe par des incitations économiques adaptées, une meilleure structuration des filières et une communication efficace sur les bénéfices du bio, tant pour la santé que pour l’environnement.
L’avenir de l’agriculture biologique en France dépendra des choix faits dans les mois à venir. Si des mesures fortes sont prises rapidement, il est encore possible d’inverser la tendance et de redonner des perspectives aux producteurs engagés. Dans le cas contraire, le risque est grand de voir s’effondrer une partie des acquis construits au fil des dernières décennies, au détriment d’une agriculture plus durable et respectueuse des écosystèmes.