
Depuis le printemps 2025, les marchés agricoles connaissent une phase de tension haussière sur certaines matières premières, en particulier le soja, le blé et les oléagineux. Deux facteurs jouent un rôle central dans cette dynamique : la décision des autorités américaines de revaloriser les quotas de biocarburants, et la détérioration rapide de la situation géopolitique au Moyen-Orient, notamment entre Israël et l’Iran. Ensemble, ces éléments créent un environnement de marché instable mais temporairement favorable à certaines cultures, en particulier pour les producteurs français et européens.
Des biocarburants au cœur du soutien aux oléagineux
Le 1er juin, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a confirmé une augmentation de 8 % des obligations de mélange de biodiesel à l’horizon 2026. Cette décision structurelle soutient mécaniquement la demande d’huile de soja, matière première essentielle pour le biodiesel aux États-Unis. Résultat immédiat sur les marchés : le soja a franchi la barre des 10,70 dollars par boisseau sur le Chicago Board of Trade (CBOT), atteignant son plus haut niveau depuis près d’un mois.
L’huile de soja a quant à elle bondi de 6 % en séance, entraînant dans son sillage l’ensemble du complexe des huiles végétales : huile de colza, huile de tournesol, et dans une moindre mesure, huile de palme. En Europe, cela s’est traduit par une remontée des prix du colza sur Euronext, de l’ordre de 30 à 40 euros par tonne sur les échéances d’été et d’automne.
Ce soutien reste cependant fragile. Certains analystes estiment que cette hausse pourrait être de courte durée, car une demande accrue de trituration pourrait provoquer un afflux de tourteaux, et donc une pression baissière sur les coproduits. Par ailleurs, les niveaux de stocks mondiaux restent relativement confortables pour le soja, notamment grâce aux très bonnes récoltes brésiliennes.
L’effet domino du conflit Israël-Iran sur les marchés agricoles
Parallèlement, la montée des tensions entre Israël et l’Iran depuis avril – frappes ciblées, menaces sur les sites nucléaires et raids dans le détroit d’Ormuz – a provoqué une envolée des prix du pétrole brut. Le baril de Brent est repassé au-dessus de 75 dollars, tandis que le WTI a franchi les 71 dollars. Cette flambée énergétique a un double impact sur les marchés agricoles.
Premièrement, l’augmentation du coût de l’énergie renforce mécaniquement la rentabilité des biocarburants, notamment le biodiesel, ce qui vient amplifier l’effet des quotas américains. Deuxièmement, les coûts logistiques (transport maritime, intrants, engrais) augmentent, ce qui incite les marchés à revaloriser certaines matières premières agricoles à l’export, notamment le blé et le maïs.
À Euronext, le blé tendre a ainsi repris 4 à 5 euros par tonne sur les échéances de juillet et septembre. Les inquiétudes sur la sécurité des exportations maritimes dans le Golfe Persique, combinées à un euro en hausse et à des tensions sur le fret, expliquent en partie ce mouvement.
Réactions différenciées selon les cultures
Toutes les cultures ne bénéficient pas de cette conjoncture. Tandis que le soja et les oléagineux affichent une dynamique haussière, le maïs reste sous pression. Les raisons sont multiples : aucune évolution des quotas d’éthanol aux États-Unis, stocks abondants au niveau mondial, et récolte exceptionnelle en Amérique du Sud, notamment au Brésil. Le maïs européen reste confronté à une forte concurrence à l’export, sans facteur de soutien immédiat.
Du côté du blé, la situation est plus équilibrée. Les cours remontent légèrement, tirés par la géopolitique et les nouvelles mesures européennes. Depuis début juin, Bruxelles a mis en place des quotas sur les importations de céréales ukrainiennes, visant à préserver la stabilité du marché intérieur. Cela crée une barrière tarifaire bénéfique pour les blés européens, en particulier français, dans un contexte de pression concurrentielle russe toujours très forte.
Quelles conséquences pour les producteurs français et européens ?
Pour les agriculteurs français, la situation actuelle crée des opportunités à court terme, mais appelle à une grande prudence stratégique.
Le blé bénéficie d’un soutien modéré. Les prix sont remontés au-dessus des 240 euros par tonne, mais cette dynamique reste fragile face à la concurrence russe et à l’euro fort. Les producteurs peuvent envisager des ventes ou des couvertures partielles sur cette base, notamment si la météo en Europe reste favorable aux récoltes.
Le colza retrouve des couleurs grâce à l’effet "huile" induit par les biocarburants. Les prix observés sur Euronext frôlent à nouveau les 480 euros la tonne, un niveau plus rémunérateur après plusieurs mois difficiles. Toutefois, le marché reste exposé à une forte concurrence des importations canadiennes (canola), qui pèsent sur les disponibilités européennes.
Le maïs reste le maillon faible. Les prix stagnent, et la remontée des coûts de production (énergie, engrais) pourrait détériorer encore les marges brutes. Sans retournement climatique majeur sur la Corn Belt américaine, peu de soutien est à attendre de la part des marchés mondiaux.
Perspectives : vigilance, adaptation, et couverture
Les perspectives à court et moyen terme dépendent essentiellement de trois facteurs :
- La pérennité des tensions au Moyen-Orient. Une escalade durable pourrait entretenir la hausse du pétrole et donc prolonger la pression haussière sur les marchés agricoles.
- Les décisions politiques sur les biocarburants en Europe, notamment dans le cadre du Pacte Vert et de la stratégie "Farm to Fork".
- Les conditions climatiques en Europe et en mer Noire, qui détermineront les rendements de la récolte 2025 et les équilibres d’offre.
Les coopératives et exploitants agricoles ont donc tout intérêt à :
- Suivre de près l’évolution des marchés de l’énergie et des huiles végétales,
- Anticiper les achats d’intrants si les tensions persistent,
- Sécuriser une partie des prix de vente sur le blé et le colza lorsque les seuils de rentabilité sont atteints,
- Rester attentifs aux arbitrages communautaires en matière de commerce et de durabilité.
Conclusion
L’année 2025 marque un retour de la volatilité sur les marchés agricoles mondiaux, avec une pression accrue sur les intrants et des opportunités commerciales à saisir ponctuellement. Le soja et les oléagineux semblent les grands gagnants de cette séquence, tandis que le blé bénéficie d’un rebond technique. Pour les producteurs européens, l’enjeu est de naviguer avec agilité dans un marché mondial de plus en plus connecté aux dynamiques énergétiques et géopolitiques.