
Alors que la Politique Agricole Commune (PAC) entre dans sa seconde phase de programmation 2023–2027, le ministère de l’Agriculture a procédé à une révision à mi-parcours du Plan stratégique national (PSN), avec un arbitrage de 257 millions d’euros. Ces fonds proviennent principalement de crédits non consommés dans le cadre de l’agriculture biologique, dont les conversions ont marqué le pas depuis 2023. Cette réaffectation budgétaire, présentée le 1er juillet 2025 devant le Conseil supérieur d’orientation (CSO), trace une nouvelle feuille de route budgétaire, plus ciblée, plus pragmatique, mais aussi plus politique.
Un recul du bio qui redistribue les cartes
Premier constat posé par le ministère : la surface agricole utile (SAU) en bio est restée stable autour de 10 %, bien en deçà des objectifs initiaux de 18 % à horizon 2027. Cette stagnation — résultat de la crise du pouvoir d’achat, de la chute de la consommation de produits bio, et du découragement d’une partie des agriculteurs — a conduit à une sous-consommation des crédits alloués aux aides à la conversion.
Plutôt que de laisser ces fonds dormir, le ministère a choisi de les réaffecter à des priorités mieux identifiées : accompagner les jeunes, renforcer les revenus des petites structures, stabiliser certaines filières agricoles fragiles, et encourager la transition agroécologique par d’autres leviers.
Un soutien maintenu au bio, mais recentré
L’écorégime bio, principal levier de soutien direct aux pratiques vertueuses, voit son niveau rehaussé à 110 €/ha, contre environ 96 €/ha actuellement. Ce soutien valorise les exploitations déjà engagées, dans un contexte économique incertain.
En parallèle, un nouveau programme sectoriel dédié au lait bio est créé, à hauteur de 12 millions d’euros sur deux ans (2026–2027). L’objectif est clair : éviter le décrochage de la filière laitière biologique, qui subit à la fois la baisse des débouchés et les surcoûts liés à sa spécificité.
Ce recentrage du soutien au bio reflète une approche plus réaliste, privilégiant les exploitations installées et les filières structurées, plutôt que des conversions massives qui risqueraient d’échouer faute de demande.
Une priorité forte au renouvellement des générations
L’aide complémentaire au revenu pour les jeunes sera revalorisée de 25 %, mobilisant 55 millions d’euros supplémentaires.
Le paiement redistributif, dispositif destiné à mieux rémunérer les 52 premiers hectares d’une exploitation (et donc à soutenir les structures de taille modeste), bénéficie d’un abondement de 20 millions d’euros.
Ce double levier agit sur deux plans : faciliter les débuts dans le métier, et renforcer la viabilité des exploitations à taille humaine, souvent plus diversifiées, plus proches des consommateurs et des territoires.
Des filières vulnérables revalorisées : ovins et blé dur en ligne de mire
La filière ovine, confrontée à une désaffection chronique (âge élevé des éleveurs, rentabilité précaire, prédation croissante), obtient 15,2 M€ sur deux ans, soit une revalorisation de 7,6 M€/an de l’aide couplée existante.
Le blé dur, culture stratégique pour certaines régions (Sud-Ouest, Centre, Méditerranée) et indispensable à la production nationale de semoule et de pâtes, recevra 15 M€ supplémentaires d’aide couplée.
Ces renforcements témoignent d’un souci de préserver la diversité des productions sur le territoire français, en s’appuyant sur les outils ciblés de la PAC.
Transition agroécologique : des moyens pour les MAEC et les investissements
33 millions d’euros pour les MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques), ciblées en priorité sur les zones intermédiaires (souvent oubliées par les dispositifs classiques) et les systèmes de pâturage extensif.
34 millions d’euros pour soutenir les investissements agricoles via le FEADER, en lien avec les Régions. Ce financement concerne notamment des projets en lien avec l’adaptation au changement climatique, la réduction des intrants ou encore l’autonomie énergétique.
Ces aides visent à accompagner la montée en résilience du modèle agricole français, tout en respectant les équilibres territoriaux et économiques.
Une stratégie d’équilibre, entre pragmatisme budgétaire et signaux politiques
Cette révision de la PAC française ne bouleverse pas la philosophie initiale du PSN, mais elle en corrige les angles morts. Elle entérine notamment l’échec relatif du pari sur la croissance du bio, tout en refusant de tirer un trait sur ses acquis. Elle valorise les jeunes, les petites structures, les systèmes herbagés, et redonne un souffle aux filières souvent laissées en marge des grandes dynamiques agricoles.
Le tout, sans injection de fonds nouveaux, mais par un redéploiement budgétaire stratégique.
Ces ajustements seront soumis à la Commission européenne courant juillet. S’ils sont validés, leur mise en œuvre concernera les campagnes 2026 et 2027.
En synthèse : où vont les 257 millions d’euros ?
Destination | Montant total (2026–2027) |
---|---|
Revalorisation de l’écorégime bio | 108 M€ |
Aide aux jeunes agriculteurs | 55 M€ |
Paiement redistributif (52 premiers ha) | 20 M€ |
Aide couplée à la filière ovine | 15,2 M€ |
Aide couplée au blé dur | 15 M€ |
Programme sectoriel lait bio | 12 M€ |
MAEC (pâturage et zones intermédiaires) | 33 M€ |
Investissements via le FEADER | 34 M€ |
Conclusion
À travers cette révision de la PAC, le ministère de l’Agriculture envoie un message politique fort : la transition ne peut pas reposer uniquement sur des objectifs de surface ou des effets d’annonce. Elle doit passer par des mesures ciblées, adaptées à la réalité des exploitations, et porter une attention particulière au renouvellement des générations, à la diversité des modèles agricoles, et à la résilience territoriale.
Une politique qui se veut plus lisible, plus efficace — et, peut-être, plus proche des besoins réels du terrain.