Alors que les moissons battent leur plein dans de nombreuses régions françaises, l’Eure-et-Loir innove en matière de prévention des incendies agricoles. En 2025, une nouvelle expérimentation allie l’expertise des pompiers, la mobilisation des agriculteurs et les infrastructures d’irrigation pour gagner en efficacité face aux départs de feu de plus en plus fréquents. Cette démarche locale pourrait bien inspirer d’autres territoires céréaliers confrontés aux mêmes risques.
Une cohorte d’agriculteurs volontaires, pionnière depuis 2020
Depuis plusieurs années, les agriculteurs d’Eure-et-Loir ne se contentent plus de regarder les camions rouges intervenir dans les champs. En 2020, à la suite de plusieurs incendies marquants en période de moisson, le SDIS 28 (Service départemental d’incendie et de secours) et la Chambre d’agriculture ont créé une cohorte de volontaires agricoles, composée de professionnels prêts à agir rapidement aux côtés des pompiers.
Leur mission : déchaumer immédiatement les parcelles voisines d’un départ de feu, afin de créer une zone coupe-feu mécanique. Les agriculteurs sont équipés de déchaumeurs attelés et reçoivent des consignes précises pour intervenir sans gêner les secours. Le dispositif a fait ses preuves, contribuant à limiter de nombreux incendies avant qu’ils ne deviennent incontrôlables.
« On ne joue pas aux héros. On est là pour sécuriser nos terres et celles de nos voisins, dans un cadre bien défini », témoigne un agriculteur engagé depuis 2021.
2025 : une innovation autour de l’eau agricole
Si la mobilisation humaine est désormais bien rodée, l’enjeu 2025 se situe ailleurs : gagner du temps sur l’approvisionnement en eau. Un enjeu critique en pleine saison de moisson, où chaque minute compte.
La solution imaginée : raccorder les pompiers aux forages agricoles ou aux bouches d’irrigation, via un système de raccord spécifique. Mais, comme les réseaux agricoles fonctionnent souvent sous haute pression, un branchement direct serait risqué pour les équipements incendie. C’est là qu’intervient une nouveauté :
Un bassin mobile de 10 m³ est installé près du point d’eau agricole. Il est rempli à l’aide du réseau d’irrigation. Les pompiers peuvent ensuite s’y raccorder en toute sécurité et y puiser l’eau nécessaire. Ce système permet de créer un point d’eau opérationnel en quelques minutes seulement, au plus près du sinistre.
Un partenariat public-agricole exemplaire
Ce dispositif est né de la collaboration entre :
- la Chambre d’agriculture de l’Eure-et-Loir
- le SDIS 28
- l’Association des Irrigants de l’Eure-et-Loir (AIEL)
- et les services de la préfecture.
Chacun a joué son rôle : les irrigants ont ouvert leurs réseaux, les agriculteurs ont identifié les points de raccord possibles, les pompiers ont validé les contraintes techniques, et les autorités ont accompagné le montage réglementaire.
« C’est un exemple très concret de résilience territoriale. On part de l’existant — les réseaux d’irrigation — pour répondre à un enjeu d’urgence : préserver les récoltes, les équipements, mais aussi les vies humaines », résume un ingénieur de la chambre d’agriculture.
Pourquoi ce système change la donne
- Accès à l’eau immédiat, là où il n’y avait auparavant que des champs secs.
- Réduction drastique des délais d’intervention : les pompiers n’ont plus à parcourir plusieurs kilomètres pour se réalimenter.
- Complémentarité entre bassins fixes, cuves agricoles et ce nouveau format mobile.
Au-delà de l’efficacité, c’est aussi un signe de coopération intelligente entre monde agricole et sécurité civile, dans un contexte où les épisodes de canicule, les orages secs et les vents d’été rendent les cultures particulièrement inflammables.
Une expérimentation à surveiller de près
Pour l’instant, ce dispositif est en phase pilote dans quelques exploitations d’Eure-et-Loir. Un bilan est prévu à l’automne 2025, pour :
- mesurer les temps de réaction,
- évaluer la robustesse du matériel,
- recueillir les retours des agriculteurs et des pompiers,
- ajuster le cadre juridique.
Car des questions restent ouvertes :
- Le raccordement à un forage agricole est-il légal en cas d’urgence ?
- Qui est responsable en cas de panne ou d’erreur de manipulation ?
- Le matériel est-il homologué pour un usage partagé entre professionnels de l’agriculture et de la sécurité ?
Et demain : vers un modèle national ?
Ce test mené en Eure-et-Loir est déjà scruté par d’autres départements céréaliers comme le Loiret, la Marne ou l’Yonne, où les enjeux sont similaires. Une généralisation passerait par :
- la standardisation des raccords,
- des kits prêts à l’emploi (bassin + pompe + connectique),
- un accompagnement des chambres d’agriculture et des SDIS dans chaque région.
Le tout, dans un contexte où la transition agroécologique rime aussi avec gestion de crise et anticipation des aléas climatiques.
Un symbole de l’agriculture résiliente
Face aux incendies de moisson, les agriculteurs d’Eure-et-Loir ne subissent pas : ils agissent. Grâce à leur organisation, leur proximité du terrain et leur capacité d’innovation, ils deviennent des acteurs clés de la sécurité civile locale. En cela, ils incarnent une agriculture moderne, solidaire et capable de faire front aux défis du climat.
« Quand l’enjeu, c’est de sauver une récolte, chaque minute compte. Et chaque goutte d’eau aussi. »